Tuesday, February 25, 2014

Naissance d'une baleine

C'est dans un village que ça commence, tôt, un matin d'été. L'air est lourd et gris entre les petites maisons de pierres et de bois. Ça sent la mort. Les matins de funérailles. Ça sent l'absence et les froids au cœur. De ceux qui font figer le sang un battement sur deux, miroirs fuselés de rubis, comme des ruisseaux cristallisés.

Inhabituelle sensation pour un si chaud matin d'été que le soleil perce à peine sous la grisaille du sol.

Ça sent la mort. Les matins de funérailles. De ces matins où tout un village, chacun de ses habitants, sent en son coeur la tristesse cinglante, lancinante, de la perte. La perte d'une chose merveilleuse, si grande et fière. 

Ça sent la mort. Les matisn de funérailles, ces matins chauds qui semblent si froids. Quand l'air de la mer ne suffit pas à sécher les larmes d'une Mer qui perd l'un de ses enfants.

Tout un petit village muet soutient sur lui le poids de la mort. Une baleine gît sur les galets gris de la plage.

À mi-chemin entre la mer et la terre. À mi-chemin entre sa mort et sa vie. Perdue. Errante mais immobile. Affalée de tout son long sur un suaire de pierres. Molle de sa faiblesse terrestre. Molle et triste malgré sa puissance titanesque, celle-là qui, pour ces derniers instants, soulève encore son thorax massif pour faire entrer une dernière bouffée d'air dans ses poumons gigantesques. Une démonstration vaine de force qui, à sa vue, arrache une larme, un pincement au ventre.

La grande queue plate ailée de blanc bât les vagues moutonneuses. Narguée par l'écume. Elle crit à la Mer :"Reprends-moi." Chacun l'entend ce cri, chacun. 

Sauf peut-être la Mer.

Peut-être. Personne n'en est certain. Effet de la peine sur les coeurs givrés. Porter le blâme sur la Mer. La cruelle. La froide. Celle qui prend tout et qui ne laisse rien. 

Mais qui ne se lassera pas de caresser de ses doigts de vagues la peau dure, lisse et noire de son bébé. Et qui crit à sa baleine, sa toute petite, "Reviens-moi". Et qui pleure sur la plage bientôt cimetiere. Personne ne l'entend, ce cri. Personne. 

Sauf peut-être la baleine.

Peut-être. Elle n'en est pas certaine. Effet de la peine sur le coeur, de l'absence et du vide. À mi-chemin entre son univers et celui de la terre, elle est sourde. On ne l'entend que lorsqu'on y est submergé, la Mer. Quand chaque centimètre de peau y est cloué, fusionné, comme branché à un respirateur. Un bébé baleine encore englué au coeur de sa Mer.

Mais elle ne peut que croire, et espérer, que Mer ne l'a pas jetée, abandonnée. Et elle pleure, la baleine. On sent ses larmes sourdre, crues et aigres. S'éteindre sans pouvoir sentir les bras de Mer autour d'elle. Vide. Pleine aussi. Pleine de mort et de peur. Mourir en criant à Mer de ne pas laisser son âme à la dérive sur ces mortuaires râpes de sable rouge, à éviter de raser les carcasses tristes de crabes, de homars et de coquillages blanchis par le soleil brûlant dans la brume froide. Un champ de fleurs osseuses et coupantes.

Et Mer qui pleure de ses vagues le chagrin de la perte de son enfant.

Lourde et triste baleine. Ses côtes ne supportent plus son poids colossal, les poumons s'affaissent. On peut sentir l'aigreur du mumure mortuaire givré dans l'air, le souhait silencieux que le spectacle de mort prenne fin. La désolation se lit sur les lèvres, au coins des yeux, sur la langue. La mort a mauvais goût. Les mères serrent entre leurs bras, contre leur coeur, leur enfants emitouflés contre l'air de la mer.

Ce souffle, haleine d'un dragon gros comme le monde qui rend humide et trop fraîche la peau. Crachat d'indignation devant l'immobilité des spectateurs. Le spectable de la mort d'un être innocent, important et noble. Plus important que tous les porteurs d'yeux effarés recueillis en silence comme au rassemblement d'un culte. Ils regardent alors que son tout petit bébé sombre, seul, effrayé, loin de ses bras tourbillonnant.

Et elle souhaiterait tant, Mer, ne pas avoir à vivre encore une fois de plus la mort de ses enfants. Mais le coeur des titans est fort. Mer ne se souvient toutefois pas n'avoir jamais pleuré. Mer reste là, passive et meurtrière parfois. Larmes d'eau alées pleurées sur les plages. Et l'âme de baleine qui lentement, sans un murmure, sans un dernier rugissement de peine, s'éloigne. Mer sent les bonds délicats de l'âme sur le sable. Chacune des secousses la blesse. Si elle en avait le pouvoir, elle récupérerait l'âme perdue qui ne cesse de sanglotter dans les limbes de la plage.

Le vide comme une brume s'installe. L'âme vascille entre les coquillages et Mer se refond dans ses vagues, ses doigts griffant le sable. À force de le gruger, le sable ne formera peut-être un jour plus de plage. L'entre deux de la plage cessera d'exister, et Mer prie pour que ce jour voit revenir les âmes désolées de ses bébés enfin libérés du sable. Alors Mer rassemble tout son poids et fonce vers la plage. La submerger, récupérer trop tard l'enveloppe vide de sa petite. 

La marée montante chasse les vautours, sauf une jeune femme qui vient noyer ses chevilles dans les cheveux mêlés de Mer et qui s'adresse à elle à la maniere d'un fidèle à son dieu. Et puis ce sont les genoux, les hanches, jusqu'à la poitrine et plus encore, pour qu'il ne reste que le visage perlant hors de l'eau. La jeune femme brave les aiguilles froides de l'eau glacée pour prier Mer, la supplier d'accepeter qu'elle prenne en elle l'âme perdue de la baleine. Que lui soit prêté pour une nuit le pouvoir de conception sacré. Qu'elle unisse le coeur de la baleine à celui de l'enfant qu'elle concevra.

Et Mer ne peut qu'accepter, larmoyante du bonheur que lui procure l'idée que son bébé ne sera pas hanté par la plage. Le sel, coincé dans les pores de peau maintenant sacrés, sera talisman, empreinte de Mer sur cet être de chair qui soudainement excuse toutes les erreurs terrestres. 

Relâcher la jeune femme épuisée et tremblottante de froid. La laisser retourner dans son monde et voir se réaliser le souhait de Mer. La laisser se glisser entre les draps chauds sur sa peau d'eau. Les lèvres bleues cherchant celles d'un amour endormi. Les mains brûlantes parcourant la peau salée, la bénissant de vie.

Et Mer qui crie merci en sentant le poids de l'âme morte la quitter et s'installer dans le coeur non-formé d'un enfant terrestre qu'elle chérira comme le sien au même titre que les poissons agitant ses eaux.

Les mains glissant sur la peau mouillée, le goût de sel au coin des lèvres. Elle sourit en embrassant l'amour, pleine de vie. Ça sent la vie et les fleurs de rosée. Le tournesol sans été. Au matin, le corps désâmé de la baleine aura disparu, englouti par Mer.

Ça sent le rêve, les matins où on peut encore les toucher du bout du coeur.

Jardin de verre

Un voile en peau de verre grillagé
Aigri de soudures de sang
Incrustations d’or perlé dans tes yeux
Billes de fonte molle

Un voile bruyant d’effluves élastiques
Gravé dans la soie du ciel
Par les cheveux arrachés
Aux regards de marbre
Le voile, chantonnant la caresse d’un jardin
Décroche la lourde fraîcheur emprisonnée
Sous un étau de tête pleine d’acide

Un voile en transe
Étourdi de gommage d’épices
Pleure d’extase
S’embrouille de sourires
Condensés sous une langue de terre
Le souffle paralysé
En cage
Éclaté en une seule particule d’air.

Page cassée

Un œil au sourire cassé
Seul dans une pièce diaphane feutrée
Gouttelette sourde au creux d’une page

Saphirs de ciment qui fondent sur l’horizon
Obstrué d’une poudre de mer cajoleuse
En forme d’arc-en-ciel moutonneux de syllabes
Moisies de miroirs floconneux

Spectateurs de velours tranchant
Pincés par la froidure bouillonnante
Au sommet déchiré d’un cerceau teinté

Chœur de craie pimenté
Par les diamants des oiseaux mous
Regards ronds liquéfié à une fenêtre
Dure voix en guise de pluie de soie

Une huile séchée de sucre
Glace l’œil ailé, muet
En une boucle d’ivoire
Au gout de sang
Faim vinaigrée au parfum tordu
Unique, sablonneux qui fond mes pages.

Morsure de bulle

Le chlore de mon acide perce tes yeux vaporisés de sucre écarlate
Comme des pommes de sable d'étoiles trop lourdes
Des cerises à coudre au dos d'une cicatrice rouillée
Que tu étourdis faute de charmes.

Respire mes veines de cristal, faussaire
Cri ! Pour ces pluies souillées par l'explosion des ciseaux
Pour la coloration soudaine des nuages vides de leur chair bleue
Apparentes, comme tes os.
Séquestre l'attente, d'un coup de lèvres
Déments la chimie mauve de ma peau
Parfum rose contre les fils de soie de la mer
Offert en papillon enjôleur enfermé dans un coquillage.

Battements organiques, secs et moelleux d'un bloc de boue blanchie
Sifflements du sang pleuré et étouffé
Par les palpitations piquantes de mes laines brûlées
Qui déploient mon chant, crevé par tes pattes distraites
Séché en balafres de peinture ouvertes sur ma tête bouillie
Moisissures jaune soleil qui flottent seules, rudes molécules

À l'ombre de mes ailes fracturées en de lisses lames affutées
J'entame la pâte éclatée sous l'ombrelle de ma bulle.

Faim de peau

Sa peau de papillons cuits
Broie le jour en fabricant le ciel
Immobile, face aux heures de sable
Que j'exécute de mots noyés
Minutes tranchées de mes ennuis

Sous ma parole
Sa peau trempée de la poussière de mon odeur
Persécutée par le vide

Molle encore sur ma pupille
Enduite de cris
Sa peau en croix de marbre
Mouvante
Sans ma tête qui claque son sel de plâtre
Ondulé sur une plage rouge

Franche, sa peau refuse le grillage
Dirige, rompue par l'ombre
Les sabliers de fruits

Une peau à griffonner au scalpel
Regarde mon corps en morceaux
Ma peau face à sa fin.

Ouverture Roman - Les îles tortues chantent pour pleurer - La Boussole

Un rivage fut mon berceau. Mon âme déjà née, morte dévorée, blanchie par les paumes duveteuses d'un ange souffleur descendu tel un vent en moi pour m'inspirer une soudaine mission. L'or de ma peau et le vert de mes yeux ne s'accordent plus à l'ébène fuligineuse de mes cheveux. Égarée, la nuit morte de ma tête. Mon front s'est orné des feux de l'empyrée. Chat noir à la fourrure éclaircie au contact d'une bulle de lumière surexposée. Petit être tendu en une frêle tige de chair plantée dans la tangue chaude à en fondre ma peau, je ne connais plus ni famille, ni peurs, ni passés, ni riens. Seulement la certitude tranchante, rouillée contre mes pupilles et ma langue, que je devrai suivre les hommes qui débarqueront sur la côte par mon petit bout de plage blanche où on m'a semé tel un phare.

Perchée au dos des grains de sable trop lourds, mes pieds sont des briques, des poids sous les étoiles cousues aux volutes de ciel noir se fondant à la mer. C'est là que j'irai. Droit devant sur ce vaisseau gigantesque surgi de l'océan-ciel en gonflant ses voiles pesantes, ailes de fantômes brumeuses auréolées de la couronne Lune. Mer échappe des gémissements sous les caresses de son erre. C'est là que j'irai. Une couverture a été jetée sur mes épaules maigres d'enfant. Vaine tentative de carapace. Entre les mailles de laine se faufilent sournoisement les vrombissements de mort grouillant de sous la coque de chêne du navire. Un geyser crié, chassé hors de trop puissants poumons s'affaissant, faisant tressaillir l'être même de la mer contre les roulements désarticulés du corps aux nageoires molles d'un titan noir bleuté. ----

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L'enfant frêle née sur la plage s'est endurcie, écorchée aux puissants arbres-mâts sacrifiés pour l'amour du Tempus Amapola, vaisseau méditerranéen écarté de sa route. J'ai cédé ma peau fragile au soleil en lui accordant le désir de la fondre. Une mue nécessaire à l'enfant, reine blanche sur un échiquier aqueux, posée à la droite du


Tentative :3

Contrainte d'écriture : Un homme marche dans un corridor

Un homme marche dans un corridor. Je ne vois pas ses yeux, seulement le bruit de ses pas. Je peux voir le bruit de ses pieds dans la noirceur qui enveloppe mes sens effrayés. Si seulement je savais où je suis.

Si seulement je ne pouvais avoir que l'éclat d'un espoir de te revoir encore. Je n'aime pas le noir, je préfère le rose. Seulement, le noir me rappelle mes années de jeunesse à lire des livres d'occultisme dans le grenier chez ma grand-mère. Les bougies noires chassent les mauvais esprits. La cire noire brisée par la lumière d'une flamme. Un fantôme tapis dans l'ombre qui brûle vivement, transpercé par la lumière qui ne vient pas.

Le noir sans flamme est un camouflage, un masque pour se fondre parmi les morts. Un déguisement trop simple ; ils sauront toujours me trouver.

J'entends leurs murmures se joignant aux bruits visuels des pas de l'homme. Est-il l'un d'entre eux ; un spectre caché dans l'ombre de ma joue, si proche que je ne pourrais que sentir sa fraîcheur sur ma peau?

Est-ce toi, papa? Est-ce toi, mon cauchemar? 

Allons jouer dans la boue

Tu es sorti sous la pluie, j'ai posé ma tête dans mes mains et j'ai pleuré.

J'aurais donné ma vie pour être ce manteau de cire, pour poser mon poids sur tes épaules. Blocs de ciments. Arches de portes. J'aurais donné mon coeur pour y rester.

Je me suis levée de table, mon manteau dans les mains. Le souvenir des tiennes dans les miennes. Un soupir en forme de larme.

Sous le toit de tôle, un oiseau se perche. Son ombre tanque au rythme de la sensation de tes doigts sur mes lèvres.

Je préfère les roses. Je déteste les nuages sur nos têtes les soirs de tes départs.

Je pose ma tête dans mes mains et je pleurs. Je pleurs de toi et tu meurs de moi.

Allons jouer dans la boue. Allons salir nos vies de ta mort et de mes envies.

L'Art de garder les morts en cage : La Morte dans la tête

Mon amour, ma Rebecca, tu aimais les contes de fées. Et maintenant, gisante sur la table, tu prends l’apparence d’une fée surdimensionnée avec tes ailes pourpres de cheveux emmêlés et tes yeux de papillons verts épinglés sur tes joues. Tu étais magnifique. Au-delà de la mort, ta volupté, l’iridescence de ta peau transparaît sous le froid de ton cadavre. Une éternité plus tôt, ou plutôt quelques heures, nous dinions à cette table. Serrées, pressées l’une contre l’autre. Désespérées de jumeler la cadence du cœur creusé sous la poitrine de l’autre. Je t’aime tant. 

Je plante le reste du monde au milieu de notre cuisine violette brodée de dentelle noire. Ces mêmes dentelles que tu avais choisies pour me surprendre, pour prouver que tu pouvais vivre dans un monde qui ne serait pas seulement rose et fleurissant. Des bonbons dans une jarre sucrée. Tes lèvres rouges sang, les traces des miennes dans ton cou quand je t’embrasse. Ma Rebecca, je sens que je devrais pleurer, mais tu sais que j’en suis incapable. 

Je sens leurs yeux peser sur ma nuque alors que je file vers la porte de notre appartement. Qu’ils aillent au Diable. Ce monde ne fût jamais assez beau, assez merveilleux, pour composer avec la magie de ton essence, Rebecca. 

Les murs de feuilles digitales tissées de fins fils luminescents m’observent quitter les lieux d’un crime que je ne me souviens pas avoir commis. Le poids de leurs regards m’accuse de t’avoir abandonnée, toi, la femme que j’aimais. Que j’aime. Pourtant le soir sans histoire qui se dessinait la nuit précédente ne laissait rien prévoir du drame accablant qui allait fleurir au milieu de notre cuisine. Au milieu de nos vies, mon amour.

Le vide, une faim troublante dans mon estomac. Je crois que je pourrais courir et me lancer à travers la fenêtre de la cuisine, mais le jardin que tu as amoureusement fait poussé sous celle-ci est trop joli pour que mon corps, ce corps que je ne reconnais plus, l’écrase. Mon reflet est tordu, je ne suis plus humaine. Je ne connais plus cette femme qui suit mes yeux dans le miroir que tu as accroché à la porte de l’appartement. Elle est une étrangère, un vieux coffre de chêne craqué par le temps dans lequel trop de vies ont été jetées. Porteuse de trop d’histoires de mort, celles de toutes ces victimes décédées qui ne seraient jamais racontées. Chacune d’entre elles est une miniature bulle d’air glissées dans le sang de mes veines, menaçant de me tuer. Menaçant de me rendre folle, de me briser la cervelle en éclatant au mauvais moment sous un neurone mal placé. La hantise des histoires mortes me grugent les os, en mastiquant la moelle, et recrachant le tout sous le ciel brumeux de mon cerveau mélancolique de douleur. Grisaille soyeuse où sont perchées les corneilles grignoteuses d’histoires, celles-là mêmes qui dévorent mes souvenir de toi. Un matin je ne me réveillerai pas ; les corneilles auront dévoré mon corps froid. Je leur souhaite de s’étouffer avec mes yeux. 

L’histoire de ta mort sera la dernière. Les résidus de l’essence de ta vie seront scellés à mes souffrances, la fin de tous mes pleurs engourdis de sang.